Je viens d’arriver, je suis arrivée lundi. Ici on arrive par étape. Ici la vieille pierre est rude, elle n’a pas été polie par le temps, elle fait face au mistral et au soleil. Ici le vent a commencé de souffler, les palmiers dans la cour intérieure de ma cellule, s’agitent.
J’ai posé mes trois paires de chaussures au bas du portemanteau dans la pièce qui se trouve en bas, elles attendent que je sorte, que je quitte les murs,
que je me promène.
Moi je suis là pour écrire, je m’organise pour écrire, je fais la place dans ma tête pour écrire et j’encombre la pièce où je vis pour ne pas écrire, sur la cheminée j’ai posé une vingtaine de livres amis pour avoir quand même un peu de conversation. Pour aller aux toilettes, je dois monter une vingtaine de marche en pierre comme tout ce qui est ici.
Quand je suis dans ma cellule, je ne peux voir personne, tout est conçu pour ne voir rien de vivant, juste les plantes du jardin intérieur, le soleil, le ciel et le vent. j’ai eu la visite à mon arrivée quand je défaisais mes valises d’un volatile que je n’ai pas tout de suite identifié et qui vrombissait, sans que puisse l’apercevoir, j’ai cru que c’était une chauve-souris mais non c’était un gros insecte très agité que j’ai retrouvé le lendemain en train de se cogner à ma fenêtre, je l’ai ouverte et il est sorti. ici, on se demande qui vit entre ses murs, quelle trace on va rencontrer, quel fantôme va apparaître. Nous avons tellement de fantômes à l’intérieur de nous qui peuvent dialoguer avec d’autres fantômes.
Tout cela est oublié dans la frénésie de la grande ville, dans l’agitation des médias, dans la foule qui trépigne sans savoir où elle va mais nos morts sont là pour redonner du sens à l’histoire, pour déterrer l’horreur et l’injustice,
ce sont mes amis.
Ici je m’arrête, je fais silence ou presque, quelque chose en moi s’arrête. J’écoute autrement le cliquetis du temps. pour moi, il ne s’agira jamais de prière mais de cajoler ma conscience, de compagnonner avec ma petitesse, de rigoler avec ma fragilité, de soupirer avec ma solitude, de regarder en face ce que je ne peux pas voir et de porter joyeusement ma pauvre et impuissante volonté à travers mon labyrinthe existentiel. Je suis dans ma cellule, dans l'antre de La chartreuse de Villeneuve les Avignon pour 4 semaines et j’écris pour mieux parler.