J’ai un monde touffu dans ma tête, une forêt de têtes chapeautées, une série de portraits encadrés en enfilade, j’ai des murs entiers de visages, j’ai des corps par centaines qui défilent, des corps dans des malles, des assemblées et des auditoires et je les tiens tous à portée de regard à portée de main bien entassés serrés accumulés jusqu’à ne plus savoir comment me faufiler, comment traverser cette foule qui m’occupe, cette foule que je voudrais en liesse, en béatitude, en banquet, en course folle, en grande manif mais qui semble figée. Oui il me faut me faufiler et sortir pour que mon cerveau respire !
J’ai un monde paysage dans ma tête sans porte, je suis avec une multitude de femmes, d’hommes et d’enfants qui me tendent les bras et je n’ai pas assez de force pour tous les serrer, les embrasser et les aimer et le formidable paysage de ma multitude apparait et disparait comme un mirage impossible à attraper. Et je cohabite avec des fantômes seuls et enfermés au fond de moi, interrogateurs et soupçonneux, ayant perdu la route, ayant perdu la clef, ayant perdu les mots, ayant perdu leurs rôles et les bavardages et ces errants consciencieux portent, chacun, un morceau de mon âme éventrée.